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Lui c'est Joseph. L'Hurriec, de son nom. Le nom, ça ne dit rien comme ça. Mais Joseph, né le 24 mars 1884 à Plouay dans le Finistère et qui vit pas loin, à Huelgoat, il est marié à une jolie fille ; et papa d'une petite chipie : ma grand-mère.

Quand arrive la guerre —qu'on ne sait pas encore être mondiale—, le matricule 2074 de la classe 1904 Joseph L'Hurriec a 30 ans. Il est de la première vague de mobilisés.

Probablement que c'est la fleur au fusil, comme tout le monde, qu'il s'est rendu à Guingamp rejoindre en août 1914 son 248e Régiment d'Infanterie (RI). Sûrement aussi qu'il croyait être revenu pour Noël ou au plus tard pour les prochaines récoltes, embrasser sa femme et sa gamine. Comme tant d'autres.

Mais Joseph n'est pas revenu à Noël. Ça a été un peu plus long que prévu. Pour tout le monde. Pour lui en particulier.

Dans son régiment caserné à Guingamp, il n'a d'abord pas dû être trop dépaysé. On regroupait là essentiellement des Bretons mobilisés. À la fin de la guerre, c'est sûr qu'il causait moins breton ce régiment. Tellement ça avait tué et qu'on avait dû regrouper des bataillons et des compagnies d'un peu partout.

Avec le 248 RI il a voyagé, arrière-grand-papa : En 1914, Rethel, Mongivont, Donchéry-sur-Meuse, bois de Saint-Aignan, Thuisy, Frère-Champenoise, Sommesous, Saint-Hilaire, Jonchery, ferme des Wacques, moulin de Souain. En 1915, Souain et Perthes, Bois Sabor, les Entonnoirs, la route de Tahure à Souain, la Source, le secteur de Reims...

Du pays il en a vu. Du pays ravagé surtout.

Et il y a un siècle pile-poil cette année, en 1916, Joseph s'est retrouvé du côté de Verdun. Pile l'endroit où il ne fallait pas être, au moment où il ne fallait pas être. Une boucherie abominable.

Le 29 juin 1916 au soir, Joseph quitte la citadelle de Verdun avec son 248e RI. En marchant dans la nuit vers le secteur de Thiaumont, il a largement le temps de penser à sa belle et sa petite qui se languissent de lui à Huelgoat.

Il marche dans la pénombre vers “l'ouvrage de Thiaumont“. Une sorte de forteresse prise et reprise de multiples fois, tantôt par les Allemands, tantôt par les Français. Un champs de ruine surtout. Occupé par les Allemands à cette période-là.

Cette moche poche boche sur sa carte d'état-major, le général Nivelle lui ça le saoule !

C'est pas tellement qu'il en a besoin de cette ruine, pour sauver la France. D'autant que déjà il projette de déplacer les combats vers la Somme. Mais bon, il a des principes... Alors il veut le reconquérir coûte que coûte cet “ouvrage de Thiaumont“. Et ça va coûter cher.

Au petit matin du 30 juin Joseph arrive dans le secteur de Thiaumont. Pas le temps de se poser. Ni de se préparer pour l'assaut prévu pour 10h. Que doit précéder d'un tir d'artillerie à 6h.

À 3h ça pète de partout !

Il est encore en marche avec ses camarades quand le déluge d'obus s'abat sur le matricule 2074. L'artillerie française mal coordonnée tire trop tôt et trop court. Les pertes sont effroyables dans les rangs Français. Au point que le chef de corps, le lieutenant-colonel Marchand, demande de remettre l'attaque au lendemain.

Demande rejetée.

Alors à 10h, les survivants s'élancent. Pour être fauchés aussi sec par les tirs des mitrailleuses allemandes, les grenades allemandes, l'artillerie allemande... L'enfer Allemand succède à l'enfer Français. La nationalité de l'enfer, Joseph et les autres je crois bien qu'ils s'en foutent !

Les jours suivants, les assauts vont se multiplier pour prendre cet "ouvrage". Sans succès jusqu'au 3 août. Et dès le 8 août, le lieu redevient Allemand. Il sera repris par les Français, fin octobre. Entre temps, c'est un abominable charnier.

Des charniers, il en a vu d'autres Joseph. Mais pas celui-là : au soir du 30 juin, la nuit est tombée sur le matricule 2074, soldat de 2e classe Joseph L'Hurriec. Définitivement. « Tué à l'ennemi » ça s'appelle. Va savoir s'il est tombé sous des munitions Françaises ou sous des munitions Teutonnes ?

Il laisse une belle qui va s'éteindre quelques temps plus tard. Et une petite fille qui deviendra ma grand-mère. D'elles et d'autres, j'en ai parlé ICI si vous voulez...

De Joseph il ne reste pas grand chose. Quelques photos qui ont traversé un siècle parce qu'une petite gamine inconsolable les a conservées tendrement près d'elle toute sa vie, qui fut longue. Un nom sur le monument aux morts de Huelgoat...

Il n'a pas de décoration. Où tu as vu toi qu'on décore les bêtes de somme qu'on mène à l'abattoir ?

Il n'a pas non plus son nom dans les livres d'Histoire. Ceux qui inscrivent leurs noms dedans sont en général les malins qui décident d'envoyer des Joseph à la boucherie tout en se gardant bien d'y mettre les pieds.

Alors en ce 11 novembre 2016, un siècle plus tard pile-poil, c'est surtout à mon Joseph à moi que je veux penser. Et à sa femme, à sa fille —ma grand-mère— dont les vies ont été ébranlées à l'été 1916. Parce que si je ne le fais pas, il n'y aura pas grand monde pour le faire.

Et puis je veux aussi lui dédier cette citation à mon Joseph ; qui ne l'a sûrement pas lu puisqu'elle a été écrite en 1916 par un autre poilu : « L'avenir est dans la main des esclaves, et on voit bien que le vieux monde sera changé par l'alliance que bâtiront un jour entre eux ceux dont le nombre et la misère sont infinis. » (Henri Barbusse, « Le Feu, journal d'une Escouade »).

Arrière-grand-papa n'aura pas su non plus qu'à Huelgoat, sa petite ville à lui, Joseph, au sortir de la guerre ils se sont pris à rêver de changer « le vieux monde ». Et pour cela ont donné à la Bretagne en 1920 son premier maire communiste, Jacques-Louis Lallouët. Mais ceci est une autre histoire.

Tag(s) : #Bretagne, #Breton, #Culture, #Paix, #Commémoration, #1914-1918, #International
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